Département en pointe dans l’inclusion numérique, la Mayenne compte 22 conseillers numériques répartis sur tout le territoire. Rendez-vous individuels, itinérance et permanences, les formes d’accompagnement sont nombreuses. Sous la direction du conseil départemental, les associations du territoire relaient une action forte et pérenne qui permet de toucher tous les publics. Cette dynamique est soutenue par la feuille de route nationale France Numérique Ensemble qui soutient les gouvernances locales d’inclusion numérique.
On dit que c’est un département où il y a plus de vaches que d’habitants, c’est dire que la ruralité est forte en Mayenne et les besoins liés au numérique sont nombreux : accès au droit, prise en main de l’outil informatique, communication avec les autres… Mais le premier défi des conseillers numérique est de parvenir à rencontrer les personnes concernées. “On est dans un département très rural. Les gens sont très demandeurs de la proximité. Lorsqu’on fait quinze ou trente minutes en voiture, ça peut devenir très rapidement un handicap pour certaines personnes et les décourager de bénéficier de nos services”, relate Hanane Ajaha, responsable du service des usages numériques pour les territoires au Conseil départemental de la Mayenne. Elle ajoute : “Quand on a mis en place le dispositif des conseillers numériques, très rapidement, on a compris que si on voulait vraiment cibler le maximum de personnes, il fallait aller directement vers l’usager. On fait partie des premiers départements et des rares départements à avoir déployé l’”aller vers”, en mettant en place des rendez-vous à domicile.” Un accompagnement qui peut se faire pendant plusieurs mois, sans limite de temps, ce qui permet à un usager d’apprendre sereinement et de devenir progressivement autonome.
Une pratique qui avait déjà été identifiée et mise en place par l’association GLEAM Pimms Médiation Mayenne Sarthe, avant même que le dispositif des conseillers numériques existe. “En 2019, nous avons signé une convention de partenariats avec différents acteurs qui nous permettaient de financer des rendez-vous d’inclusion numérique à domicile. Jusqu’en 2022, nos médiateurs sociaux numériques sont allés chez les gens qui nous sollicitaient pour les accompagner, soit dans une montée en compétence de l’utilisation de l’outil informatique, soit dans un accompagnement à la réalisation d’un acte administratif. Attention, on ne le faisait pas à leur place : les deux maîtres-mots de la médiation, c’est “aller vers” et “faire avec”” précise le directeur de l’association, Jérémy Chazeau.
Médiation sociale et numérique
Dans cette démarche d’”aller vers” il est apparu que l’itinérance était indispensable pour capter tous les publics. Si la distance est le premier frein, les difficultés sociales le sont aussi. Ce qu’a bien compris le GLEAM qui a imaginé un triporteur, vélo de type cargo, pour sillonner les rues de Laval, en particulier les quartiers prioritaires de la ville et s’arrêter à des endroits stratégiques. Baptisé le “PANDA” – point d’accompagnement numérique aux démarches administratives – ce dispositif traduit la philosophie de cette association dont le but est d’englober la médiation numérique à une démarche d’accompagnement social. Comme l’explique Jérémy Chazeau : “Moi, je parle plutôt de médiation sociale et numérique. Les deux sont complémentaires et j’ai presque envie de dire qu’aujourd’hui l’un ne va pas sans l’autre. Parce que quand un usager vient nous voir et qu’il dit : « Je veux apprendre à pouvoir suivre mes consommations en ligne », on ne peut pas juste lui répondre, « Écoute, tu vas sur le site d’EDF, hop, hop, voilà ton application, là, tu vois combien tu consommes, etc. » On a besoin de creuser pour savoir combien il paye par mois, est-ce qu’il arrive à payer ses factures, est-ce qu’il est en situation de précarité énergétique, etc…”
Si les demandes proviennent principalement des séniors, le PANDA permet au contraire d’entrer en contact avec un public jeune qui rencontre des problématiques spécifiques. “Ce qu’on constate aujourd’hui chez les jeunes, c’est que le smartphone n’est absolument pas utilisé comme un appareil pour réaliser des démarches administratives. Il est utilisé comme un outil de divertissement pour aller sur les réseaux sociaux. Lorsqu’on échange avec eux, on s’aperçoit qu’en aucun cas, ils vont penser à prendre leurs smartphones pour faire une recherche d’emploi, avoir une boîte mail professionnelle avec laquelle ils peuvent solliciter un employeur ou pour enregistrer un CV” poursuit Jérémy Chazeau. Même constat pour Hanane Ajaha qui remarque que les jeunes de 18 à 25 ans peinent avec les démarches en ligne comme demander une carte grise ou sa carte d’identité alors même qu’ils sont très à l’aise dans l’utilisation des smartphones.
Une complémentarité essentielle
Pour le public sénior, c’est tout l’inverse. Il s’agit de maîtriser les outils informatiques alors qu’ils savent en général quelles démarches entreprendre. Pour ce faire, les permanences proposées par La Ligue de l’Enseignement sont utiles. Serge, 68 ans, témoigne : “Je suis venu au début pour un problème avec ma boîte mail et depuis, je viens régulièrement aux permanences organisées par le conseiller numérique Valentin Berne. Cela fait environ un an. Je n’ai pas d’ordinateur chez moi. Je suis retraité et je me sers d’Internet notamment pour mes bulletins de pension qui sont dématérialisés. Cela me permet de voir les paiements, de savoir combien je vais être prélevé. C’est utile pour les impôts aussi.” Un accompagnement réalisé par Valentin Berne, apprenti Responsable d’Espace de Médiation Numérique de l’association, pour leur permettre de maîtriser l’outil informatique en lui-même. Pour les démarches administratives plus complexes, il n’hésite pas à rediriger les usagers vers le service proposé par La Poste, labellisé France Services.
Une pratique essentielle juge Valentin Berne qu’il partage avec les autres conseillers numériques du département lors d’un rendez-vous tous les deux mois. Ils ont même créé un groupe de discussion sur un réseau social pour échanger autour des initiatives efficaces et des actions à améliorer. Une complémentarité qui est aussi l’apanage des associations comme c’est le cas entre La Ligue de l’Enseignement et le GLEAM. “On essaye toujours de réfléchir à la complémentarité de nos actions” assure Jérémy Chazeau qui continue : “Nous travaillons en bonne intelligence avec notamment La Ligue de l’Enseignement. Comme ils ont un lieu d’accueil avec un espace numérique, chose que nous n’avons pas, il nous est déjà arrivé de leur envoyer du monde, par exemple lorsqu’un usager avait besoin d’un accompagnement immédiat”. Une façon de travailler que l’on retrouve aussi du côté de La Ligue de l’Enseignement. Comme le confie Julien Favrot, le directeur de l’association : “Nous travaillons avec tout le monde. Beaucoup avec la Fédération des centres sociaux au niveau des Pays de la Loire et également avec PING qui a mis en place un hub-lab à Nantes. Comme nous sommes l’un des fondateurs du Hub, nous avons aidé à la cartographie des espaces de médiation numérique en collaboration avec les Pays de la Loire. Avec le GLEAM et le CLEP qui sont sur le département de la Mayenne, on travaille plutôt sur la mutualisation de nos actions. On a organisé un Numérique en Commun[s] avec eux et les autres conseillers numériques. Il y a eu 250 personnes”.
L’expérience du terrain
Un événement apprécié qui montre que l’inclusion numérique demande du temps et une réflexion nourrie par le terrain. Après plus de trois ans d’activité, les acteurs sont désormais en mesure d’identifier les actions qui marchent et celles qui ne fonctionnent pas. Ainsi, les permanences n’ont pas porté leurs fruits, comme l’explique Hanane Ajaha : “Au départ, on a placé des conseillers numériques pour faire des permanences de trois heures dans des centres de solidarité. On a compris rapidement que ça n’allait pas fonctionner, car lorsqu’une personne se rend dans ce type de lieu, il a d’autres problèmes et le numérique est souvent le dernier de ses soucis”.
Feuille de route
De fait, les associations sont à l’avant-poste des besoins des usagers. Elles insistent pour développer d’autres dispositifs, bien que la priorité est pour l’instant de stabiliser leur action et leur assise sur le territoire. Parmi les initiatives bientôt mises en place, la création d’une recyclerie à Laval. L’idée étant de permettre aux habitants qui ne sont pas équipés d’outils informatiques de s’en procurer à bas prix. Une idée qui va de pair avec la philosophie désormais appliquée dans l’inclusion numérique de tenir compte des conditions sociales des usagers afin que le numérique reste accessible et éthique. Hanane Ajaha évoque quant à elle la mise en place d’accompagnements à la parentalité numérique. Un plan d’action sera proposé pour l’année scolaire 2024-2025 afin de permettre aux parents d’accompagner leurs enfants d’une manière pérenne et de leur donner les outils pour pouvoir le faire. L’enjeu étant de dédramatiser les craintes autour des écrans et de les initier à des usages numériques responsables et positifs. De façon plus large, le département veut s’inscrire dans la politique d’inclusion numérique nationale et a été désigné comme “co-pilote” auprès de la Préfecture de département de la feuille de route France Numérique Ensemble (FNE). Intitulé “Mayenne numérique ensemble”, cette feuille de route est en cours de rédaction et sera présidée par le département et la préfecture. Des groupes de travail seront constitués pour développer un certain nombre de thématiques. Comme le dit Hanane Ajaha : “On a créé le besoin, l’idée, c’est vraiment d’approfondir davantage maintenant. Nous pouvons parler en quantité de personnes accompagnées, mais le plus important, c’est vraiment la qualité du service rendu, car il y a différents degrés d’autonomie numérique. L’essentiel pour nous c’est d’accompagner une personne jusqu’à une pleine autonomie.” Elle conclut : “Il y a eu énormément de choses faites, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’on commence vraiment à construire quelque chose.”
Propos recueillis par Coline Olsina et Jean-Baptiste Gauvin
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