À La Réunion, sur la commune du Tampon, Christine Lauret intervient en tant que conseillère numérique France Services. Elle accompagne les usagers au quotidien dans la prise en main de l’outil numérique et le défi qu’il représente pour eux.
Comment et pourquoi êtes-vous devenue Conseillère numérique France Services ?
Avant d’être conseillère numérique France Services, j’exerçais en tant que conseillère à l’emploi à Pôle emploi et j’étais référente d’un dispositif d’accompagnement numérique pour les demandeurs d’emploi. L’objectif de ce dispositif était d’accompagner les demandeurs d’emploi sur l’utilisation des outils numériques qui sont mobilisables dans le cadre de la recherche d’emploi ou de la formation. Cette expérience à Pôle emploi m’a beaucoup plu, particulièrement le lien avec le public, tout ce que je pouvais apporter au public en général. Pour moi, être conseillère numérique France Services était donc une suite logique. Fin 2020, je me suis donc orientée vers ce métier. C’était une évidence de continuer dans cette voie-là. J’ai été recrutée par le CCAS de Tampon en août 2021.
Quelles sont les problématiques que vous rencontrez le plus souvent avec le public que vous accompagnez ?
À La Réunion nous sommes touchés, beaucoup plus que sur le territoire national, par l’illectronisme, puisque nous avons un taux selon l’INSEE de 30%, selon les chiffres publiés en 2019. Ajoutons à cela un fort taux d’illettrisme, donc des personnes qui viennent, qui s’engagent dans cet accompagnement numérique en ayant en parallèle de grosses difficultés de lecture et d’écriture. Quand on leur demande par exemple de taper un mot dans le moteur de recherche, ils ont du mal à orthographier correctement le mot. C’est une des difficultés, mais nous avons aussi des publics très éloignés du numérique, qui ne disposent malheureusement pas du matériel nécessaire pour être dans une pratique régulière. Ils ne peuvent pas tellement mettre en pratique ce qu’ils apprennent pendant l’atelier. Or, nous savons que pour persévérer dans le numérique, il faut une pratique régulière. Autre difficulté : certaines personnes ont du mal à franchir le cap de l’autonomie, c’est-à-dire qu’elles veulent parfois que nous fassions les choses à leur place. C’est du temps à dégager pour pouvoir venir à l’atelier, cela nécessite tout de même des efforts, et donc certaines personnes ont du mal à être autonomes pour cette raison aussi. Il faut trouver les bons arguments pour leur faire prendre conscience de l’intérêt de devenir autonome. Chez les séniors, il y a de grosses difficultés de mémorisation car, avec le vieillissement, la mémoire peut faire défaut malheureusement. Il faut parfois, expliquer plusieurs fois pour qu’ils comprennent ce qu’ils apprennent. Il m’arrive de faire cinq ou six ateliers sur le simple fait d’envoyer un email. Il faut être patient et s’adapter à ce public qui est parfois moins rapide que des jeunes pour assimiler l’apprentissage.
À quoi ressemble le public que vous accompagnez ?
La grande majorité est donc constituée de séniors, plus de 60 ans. En deuxième lieu, les 35-60 ans. Et après, pour les 18-35 ans, je n’en ai pas beaucoup. Nous allons faire prochainement un forum de l’insertion, donc les jeunes vont sans doute mieux connaître le dispositif et peut-être venir davantage vers nous. Il y a aussi les enfants, le public scolaire. Le CCAS du Tampon a mis en place le projet « Cité éducative ». Très prochainement, je vais donc intervenir dans les établissements scolaires sur le thème de la « sensibilisation aux dangers d’Internet », le « cyber harcèlement » et les accompagner pour un bon usage du numérique, quelles sont les bonnes pratiques à adopter quand on utilise ces outils numériques. Et puis nous proposons des ateliers pour les parents, puisque l’impact d’une surexposition n’est pas négligeable. Certains parents sont dépassés par les usages de certains enfants, les écrans à tout va, n’importe où et n’importe quand, donc nous allons aider les parents à mieux accompagner leurs enfants sur l’usage des écrans. Nous accompagnons aussi les parents sur la plateforme de l’Éducation nationale.
En quoi consiste l’accompagnement que vous proposez en général ?
J’anime des ateliers collectifs principalement, sur différents thèmes, que ce soit la prise en main des outils numériques, que ce soit pour la création et l’utilisation de la boîte mail, que ce soit les démarches en ligne (comment on accède à ses différents comptes en ligne, CAF, impôts, Ameli, etc…), aussi sur la bureautique, principalement l’initiation au traitement de texte, les relations sociales avec le numérique… L’utilisation du smartphone est très importante, car les personnes sont souvent davantage sur leur téléphone que sur leur ordinateur. J’accueille le public aussi pour des demandes spontanées. La personne peut me solliciter sur rendez-vous, souvent nous faisons alors un atelier individuel. J’accompagne aussi des personnes âgées qui sont maintenues à domicile en allant directement aux immeubles concernés. Dans chaque résidence, en bas d’immeuble, le CCAS dispose de locaux et donc moi j’ai cette opportunité de me déplacer et d’animer directement les ateliers collectifs en bas d’immeuble dans le dispositif « Relais solidarité ». Nous sommes alors vraiment au plus proche des habitants qui n’ont pas besoin de faire des kilomètres, en bus ou voiture, pour venir nous voir. Au total, nous avons une dizaine de locaux sur différents logements sociaux sur la commune du Tampon.
Pouvez-vous nous raconter une anecdote d’un accompagnement qui vous a particulièrement marquée ?
Une dame, dans la cinquantaine, est venue me voir un jour et j’étais surprise car elle avait un petit téléphone avec touches, un modèle très ancien. Elle était très éloignée du numérique et avait beaucoup d’appréhension. Elle est quand même venue et elle a vu que tout le monde avait un smartphone, notamment pour utiliser sa boîte mail. Petit à petit, elle a eu envie de s’acheter un smartphone, et un jour elle est arrivée avec. Il se trouve que ses deux enfants se trouvent en Europe – la distance entre la Réunion et la métropole est d’environ 13.000 km – et dans le cadre de cet atelier elle a pu joindre son fils via Whatsapp. Elle était très émue de revoir son fils en visioconférence, car elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs années. Elle en avait les larmes aux yeux. Elle a vu à quel point cet outil pouvait être magique parfois. Maintenant elle se sent moins seule et cela grâce au numérique.
Quelles sont les réactions que vous avez des usagers en général ?
Ils sont très satisfaits et sont même souvent étonnés que cet accompagnement soit gratuit, car beaucoup n’auraient pas les moyens de payer des cours d’informatique. Ce dispositif est très bienvenu, très apprécié. Quand ils arrivent, ils ont souvent beaucoup d’appréhension. Au fil de l’accompagnement les gens gagnent en confiance, en compétence et à la fin ils sont fiers du chemin parcouru. De mon côté, je suis très épanouie par ce métier que je sens fait pour moi, un métier qui demande beaucoup de relationnel, de la bienveillance, de l’écoute, de l’empathie.
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