Maxime, coordinateur en Corrèze

Thématique(s) :
Type(s) de média : Interview Portrait
Le 17/10/2023

Maxime Hourtoule a pris il y a un peu plus d’un an sa nouvelle fonction de coordinateur au Conseil Départemental de Corrèze. Cet ancien médiateur numérique avait déjà développé des partenariats solides avec les différents acteurs du département. Aujourd’hui, il compte bien mettre cette expérience au profit du dispositif. Rencontre.

  1. Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Avant d’être coordinateur au Conseil départemental pour les acteurs de la médiation numérique, j’étais responsable de l’espace de médiation numérique du tiers-lieu « Les bains douches numériques », porté par l’association CorrTech. Quand on est médiateur numérique en milieu associatif, on est souvent amené à faire beaucoup de choses différentes : de la médiation numérique, mais aussi de la coordination, du développement, de la formation. Cela a été une expérience extrêmement enrichissante et mon poste actuel au Conseil départemental est dans la continuité de ce que j’ai commencé à développer pendant cette période.

  1. Peux-tu nous décrire ton territoire et les problématiques spécifiques en matière d’inclusion numérique ?

La Corrèze fait partie de ces départements français ultras ruraux où il y a des territoires très vastes. Il y a des communautés de communes avec 73 communes pour 25 000 habitants avec seulement deux ou trois conseillers numériques qui se partagent le territoire. Cela leur fait beaucoup de frais de déplacements et c’est souvent le dernier kilomètre qui coûte le plus cher.

Une autre particularité est que le public concerné par l’inclusion numérique est âgé. C’est un public qui n’a pas forcément la volonté de devenir autonome et même certains qui ne voudront jamais l’être et ça, c’est une question qui est rarement abordée. C’est une problématique très flagrante sur les territoires ruraux. Beaucoup préfèrent se tourner vers les Maisons France Services qui proposent un service « à la place de ». Nous réfléchissons à différentes solutions afin que ces personnes ne soient pas complètement dépendantes de ce type de service et arrivent à avoir quelques notions.

Une partie des personnes qui suivent nos ateliers y viennent aussi contraintes et forcées par le besoin de réaliser des démarches administratives. Par conséquent la motivation n’y est pas, et c’est parfois très compliqué de les accompagner. L’ironie c’est que ces personnes sont tout à fait capables d’apprendre à utiliser les outils numériques, et que le plus souvent ils souffrent plutôt d’une phobie administrative que de problèmes liés au numérique. Mais le fond du problème, c’est qu’ils se retrouvent face à leur manque d’autonomie, ils n’acceptent pas le fait d’avoir besoin d’aide. C’est vraiment un des plus gros freins sur notre territoire.

  1. Comment es-tu devenu coordinateur pour le dispositif Conseiller numérique ?

Avant l’arrivée des conseillers numériques, il y avait quelques associations sur le territoire qui s’occupaient de la médiation numérique : le 400 à Brive-la-Gaillarde qui porte notamment le projet Handinum, l’association CorrTech qui a un espace de médiation numérique et centre de formation ou l’association Familles Rurales pour ne citer que celles-ci.

Quand les conseillers numériques sont arrivés et que leur formation a débuté, je me suis rapproché du GRETA pour proposer des retours d’expérience et réfléchir à la manière dont il était possible de les accompagner. En même temps, le Conseil Départemental de Corrèze a exprimé la volonté de porter cette mission de coordination et j’y ai vu l’opportunité de pouvoir développer les actions que j’avais pu débuter. Comme je connais bien tous les acteurs du département, tout cela prend une nouvelle dimension pour moi et j’y trouve beaucoup de sens.

  1. Selon toi, quels sont tes défis en tant que coordinateur en Corrèze ? As-tu déjà des objectifs en tête ?

Le défi actuel est de faire prendre conscience de l’intérêt de cette politique publique d’inclusion numérique aux collectivités, aux mairies, à tous les acteurs potentiellement concernés et de parvenir à maintenir cette activité-là pour le bénéficiaire final. Parce que mon rôle, avant d’être un rôle d’accompagnement des conseillers numériques, c’est de garantir ce service aux bénéficiaires. Mon objectif en tant que coordinateur, c’est que tout soit mis en œuvre pour que l’usager puisse avoir accès à ces ateliers et puisse monter en compétences pour être autonomes. Donc cela passe par l’accompagnement des acteurs mais aussi par l’accompagnement des structures en les aidant à trouver des moyens de financement, à chercher des solutions pour embaucher, à mettre en place des partenariats avec d’autres acteurs.

Il y a aussi l’objectif de recensement qui est très important. Une cartographie départementale a été mise en place afin de repérer au mieux l’ensemble des actions présentes sur le territoire. Cette carte nous permettra aussi de mettre en lien plus facilement les potentiels prescripteurs avec les acteurs de la médiation numérique. Elle doit être accessible en priorité aux assistantes sociales, aux secrétaires de mairie, aux agents de la CAF, de Pôle Emploi… Il faut qu’ils aient la liste de tous les conseillers et médiateurs numériques afin de pouvoir orienter plus facilement les personnes qui viennent les voir selon leur zone géographique. De la même façon que l’objectif de l’État était de proposer une Maison France Services à moins de 30 minutes de chaque habitant, l’idée est une action de médiation numérique au plus près de chaque personne. Il y a encore quelques zones blanches en Corrèze, mais on est sur la bonne voie.

  1. Quelles sont les différentes actions que tu as mises en place pour répondre à ces objectifs ?

Le plus efficace et le plus concret, c’est d’organiser des temps d’échanges, de dialogues entre les conseillers numériques. C’est un besoin qui a été constaté dans beaucoup de départements. Ces rencontres se font donc en visioconférence de façon mensuelle et la parole est libre. Au début, je cherchais à imposer un sujet pour cadrer la conversation en parlant d’une nouvelle compétence ou d’une thématique mais régulièrement, les discussions dérivent car les conseillers numériques ont vraiment besoin d’échanger sur ce qu’ils font. Maintenant je laisse le micro ouvert pour qu’ils puissent s’exprimer, dire ce qu’ils ont fait sur le mois, parler de ce qui a marché et de ce qui n’a pas fonctionné, dire s’ils ont besoin d’aide sur tel ou tel sujet. Au fur et à mesure, les questions viennent et certains s’aperçoivent qu’ils veulent découvrir telle compétence ou tel outil. Mon rôle est alors de les aider à progresser et je vais donc prendre travailler le sujet ou trouver un intervenant, et ensuite je leur propose un créneau d’une heure et demie, deux heures pour faire le point. Dernièrement, c’était le cas pour l’outil Airtable qui propose de la gestion de base de données pour faire un suivi d’activité un peu plus poussé.

Selon moi, l’animation d’un groupe de médiateurs numériques est à la fois la chose la plus simple mais aussi parfois la plus compliquée. J’ai la chance en Corrèze d’avoir un groupe de médiateurs très engagés avec qui il est très facile d’échanger, mais malheureusement la topographie et les plannings de chacun rend très difficile l’organisation de rencontre en présentiel et la possibilité de trouver une date ou tout le monde pourra se libérer. L’essentiel est de rester à l’écoute et de répondre présent lorsque je suis sollicité. Il est vraiment très important que le dialogue puisse être ouvert dans les deux sens. Lors de la création du réseau, l’utilisation d’outil de communication a été envisagée étant donné que beaucoup de réseaux d’autres départements utilisent des outils comme Discord, WhatsApp ou Mattermost. Cette idée n’a pas fonctionné chez nous. Les médiateurs n’ont pas souhaité interagir en direct via un chat et préfèrent décrocher leur téléphone le jour où il y a une urgence. Nous avons donc complètement abandonné l’idée d’utiliser ces outils.

  1. Et au quotidien, comment ça se passe avec les conseillers numériques ?

J’ai vraiment la chance d’avoir des échanges très fluides avec l’ensemble des acteurs de la médiation numérique. Cela facilite grandement mon travail et la qualité du service que je peux leur rendre. Cette relation est probablement aidée par le fait que j’ai été médiateur numérique par le passé et qu’ils savent que je suis toujours disponible pour partager autour de cette expérience commune.

La problématique la plus fréquente sur notre territoire rural est celle de la visibilité des actions et les difficultés à remplir les groupes pour des ateliers collectifs. L’accompagnement individuel des publics est dominant sur notre département pour cette raison. Il y a un vrai enjeu car ce manque de fréquentation peut décourager les conseillers numériques et dans l’absolu, certains ne proposeront même plus d’ateliers collectifs dans leur programme. Encore une fois, la communication auprès des partenaires est extrêmement importante car il suffit potentiellement d’un message au bon partenaire pour avoir un atelier plein.

  1. As-tu mis en place un système d’évaluation des conseillers numériques ?

Non, je n’ai pas de suivi à proprement parlé. J’ai décidé de ne pas leur imposer de tableau à remplir à la manière d’un compte rendu d’activité, parce que ce n’est absolument pas la place que j’ai voulu prendre. J’estime que ma place est d’être une fonction support, pas une fonction pilote. J’ai fait ce choix pour qu’ils n’aient pas le sentiment que je suis là pour les contrôler. Je veux au contraire leur montrer que je suis à leur service et qu’ils n’hésitent pas à me solliciter s’ils ont un souci. En revanche je leur ai toujours dit que pour l’intérêt commun du réseau, il était possible que je leur envoie des questionnaires pour pouvoir les sonder sur certains sujets. Il pourra m’arriver à l’avenir de leur demander des statistiques complémentaires, en particulier aux conseillers hors dispositif qui n’ont pas accès à l’espace Coop. Je leur explique que tout cela me permet ensuite de faire un bilan qualitatif de l’action pour pouvoir défendre la politique publique car le plus d’informations j’aurais, le plus de facilité j’aurais à les défendre.

  1. Comment t’inspires-tu au quotidien pour améliorer la coordination départementale ?

Il y a le réseau de Nouvelle-Aquitaine porté par Hubikoop qui, tous les deux mois, organise une visioconférence avec l’ensemble des coordinateurs de la région. Cela permet d’échanger sur des sujets d’actualité et de maintenir le lien avec l’ensemble du réseau. C’est un moment important et je fais tout mon possible pour être disponible même si cela est parfois compliqué. Marley Nguyen-Van d’Hubikoop est aussi un point de contact privilégié lorsqu’il y a besoin de certaines précisions sur les dispositifs qui sont mis en place et, il facilite aussi la prise de contact avec des instances comme la région ou l’État.

Par ailleurs, j’ai pris l’habitude depuis plusieurs années de faire de la veille sur Twitter et LinkedIn et de cette façon, je me tiens informé de ce que font les autres coordinateurs sur le territoire. Et puis surtout, le plus important, c’est qu’il ne faut pas hésiter à prendre contact avec d’autres coordinateurs qui ont mis en place des choses qui fonctionnent. Je pense notamment à Pierre, coordinateur sur le département de la Haute-Vienne, qui a fait un super événement numérique en collaboration avec les conseillers numériques. Ce genre de retour d’expérience est vraiment important.

  1. Est-ce que tu peux préciser les liens que tu as avec les différents partenaires de ton département ?

Le département a une relation forte avec le tissu associatif et tout particulièrement avec les associations qui ont fait partie du dispositif PASS Numérique. Nous avons travaillé ce projet ensemble en mettant les prescripteurs (Pôle emploi, mission locale, association accompagnant les porteurs de projets…) et les espaces labellisés APTIC autour d’une table afin de mettre en place un dispositif le plus adapté aux besoins de tous. Le résultat a été au rendez-vous, le PASS Numérique a été un grand succès sur le département de la Corrèze. Ces projets montés en commun dès le départ créent un climat de confiance entre nous et les partenaires du territoire et cela facilite les échanges. Cependant toutes ces relations s’entretiennent et il est important de contacter ponctuellement ces différents partenaires afin de prendre des nouvelles, demander s’il existe de nouveaux dispositifs, s’ils ont besoin que je partage des informations aux réseaux des médiateurs numériques… Il ne faut pas partir du principe que tout le monde va nous envoyer les informations à chaque fois qu’il y en a une. Les partenaires ne pensent pas toujours à nous et c’est tout à fait normal.

  1. As-tu un projet en tête à développer pour fin 2023, début 2024 ?

Un des objectifs, c’est d’organiser un événement numérique avec les conseillers numériques pour qu’ils puissent se mettre en avant sur le territoire. La 1ère édition de Mission Innovation Corrèze aura lieu le 17 novembre 2023. Pour cette 1ère année, 11 structures du territoire proposent des animations pendant toutes la journée à destination du grand public et un salon à destination des pro et des élus aura lieu au Conseil Départemental. Les 11 lieux sont bien répartis sur le territoire et c’est pour moi déjà une réussite car cela permet d’avoir des animations au plus proche des habitants et pas seulement à Tulle ou à Brive-la-Gaillarde.

Après on espère pouvoir travailler sur des “communs numériques” à l’échelle départementale qui pourront être essaimés ensuite au niveau national si ça fonctionne bien. On expérimente différentes choses avec le réseau. Parfois cela prend, d’autres fois cela ne prend pas… Quoi qu’il en soit il ne faut pas se décourager et il faut continuer de travailler pour le collectif.

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